L’île de Bali est unique en Indonésie pour sa dévotion à l’hindouisme. Plus de 80% des Balinais se sont déclarés hindous lors du recensement de 2010 et l’influence de la religion se reflète clairement dans leurs arts et leurs rituels.
La transe sacrée du Feu
Une performance balinaise traditionnelle, racontée lors du Tari Kecak est la transe du feu. L’homme-cheval, pieds nus, se déplace autour d’un feu de joie fait de coques de noix de coco, donnant des coups de pied et dansant dans un état de transe.
Les danseurs se retirent sous des applaudissements reconnaissants et les hommes s’empressent de préparer l’espace pour le Sanghyang Jaran. Une barrière basse en treillis de bois est installée devant les sièges des spectateurs et un tas de coques de noix de coco est incendié au milieu de l’arène. Le chœur refait surface pour planter le décor. Arrive alors sur scène Hanuman, le Roi-Singe. Il grogne, il trépigne, puis il saute au dessus du feu à plusieurs reprises. Ce dernier gagne peu à peu en intensité. Puis le singe s’éloigne par une porte dérobée…
Le chant « cak », désormais familier, monte frénétiquement avec l’arrivée du cavalier. L’homme et son cheval caracolent au rythme des chants. Ils se rapprochent, progressivement, du brasier qui vient déjà lécher ses épaules. Tandis que les hommes crient, le cavalier se précipite brusquement dans les flammes ! Le feu se disperse en une pluie d’étincelles rouges. Le chant du chœur se fait plus fort jusqu’à devenir exubérant.
L’arène n’est bientôt plus qu’un tas de braises rougeoyantes, leurs fragments brillent toujours d’une étrange malveillance. Deux serviteurs s’empressent de balayer les débris en tas afin que le cavalier puisse, une fois de plus, démontrer son pouvoir. En transe, il continue de trotter librement, prenant à pleine main des braises incandescentes et les lançant en l’air. Dans un éclair de folie, il glisse une poignée de braises dans sa bouche et les recrache en une gerbe de morceaux brûlants, comme si les copeaux enflammés n’étaient pour lui rien de plus qu’un inoffensif charbon !
J’étais ravi de voyager à Bali pour explorer sa beauté et ses mystères… Mais je n’imaginais que je tomberais sur quelque chose d’aussi magique.
Qu’est-ce que le sanghyang et quel est son but ?
Le mot Sanghyang signifie céleste et fait référence à des rituels de transe dansés par lesquels les interprètes entrent dans un état de conscience modifiée, appelé kerawuhan (descente, arrivée) ou nadi (devenir). L’objectif de ce rite est de remettre de l’ordre dans le village et d’exorciser les esprits du chaos.
Notez cependant que les danses rituelles kerawuhan et le Sanghyang jaran que l’on peut voir dans de nombreux théâtres et temples de l’île sont souvent des mises en scènes à l’attention des touristes. Un occidental ne fera pas la différence mais un balinais, oui. Il arrive toutefois que vous puissiez profiter d’une authentique danse de transe en poussant les portes d’autres lieux traditionnels, loin des chemins balisés et dans certains villages reculés qui ne figurent pas dans les guides touristiques.
Le rituel magique du sanghyang dedari
Lorsqu’en 2010, j’ai accompagné Agung dans son village natal (province de Sukawati) à une cérémonie sous la pleine lune, j’ai eu la chance inouïe de profiter d’une vraie danse de transe sanghyang dedari. Ce rite traditionnel est exécuté la nuit en présence de tout le village dans le jeroan, la cour intérieure du temple. Le prêtre, un chœur de femmes et le couple de sanghyang (celles qui vont participer au rituel) se rassemblent près du sanctuaire, où l’offrande aux dieux a été placée. Pendant que le prêtre prie, les deux jeunes filles sanghyang s’agenouillent ensemble devant un brasero rempli d’encens et inhalent la fumée purificatrice. Le chœur invite la déesse à descendre, chantant lentement des kidung sacrés dont le tempo augmente régulièrement à mesure que la possession approche. Lorsque les filles entrent en transe kerawuhan, elles se balancent d’avant en arrière, murmurant des mots étranges d’une voix rauque et gutturale. Le prêtre se déplace à travers des coquilles de noix de coco incandescentes et les tend aux jeunes femmes. Si ces dernières sont insensibles à la chaleur, il juge que la transe est réelle, ce qui permet aux balinaises en transe de devenir médiums des dieux.
Alors que les sanghyang sont profondément ancrés dans le kerawuhan, l’humeur des petites filles normalement dévouées peut devenir imprévisible, et elles sont connues pour se comporter avec une agressivité inhabituelle si leur volonté n’est pas respectée. Elles peuvent être agacées par le gamelan, refuser de danser sur une mélodie particulière, ou rejeter avec violence un homme qui tenterait de s’approcher. Ce soir-là, je me souviens d’une danseuse sanghyang qui, après qu’un homme ait tenté de la rattraper alors qu’elle tombait en arrière, gifla violemment le balinais au visage et proférant des menaces à tout le monde autour d’elle. Comme les conseils des dieux sont grandement nécessaires, les villageois tentent de répondre aux caprices divins du sanghyang qui ne délivrera de messages que s’il est satisfait.
Un témoignage d’une anthropologue au sujet d’un sanghyang à Sukawati
Dans son ouvrage anthropologique World Dance Cultures, From Ritual to Spectacle, Patricia Beaman relate l’expérience d’une chercheur indonésienne, Belo, qui faisait partie de l’équipe anthropologique de Margaret Mead et Gregory Bateson dans les années 1930. Cette dernière a fait des recherches sur le sanghyang dedari à Bali. Dans son livre, Trance in Bali, elle a été témoin du pouvoir d’un sanghyang à Njawat. Elle décrit l’histoire de deux partenaires sanghyang, Tjibloek et Renoe. Belo raconte :
« Une fois, une danseuse sanghyang se produisait à Sukawati. Elle s’est arrêtée et s’est assise… et a fait signe qu’elle voulait être transportée dans une certaine direction… Les villageois l’ont emmené et rencontrèrent bientôt une seconde procession portant une sanghyang d’un autre village. Les deux sanghyang se sont rencontrées et, bien qu’elles ne se soient jamais croisé ni même jamais dansé ensemble auparavant, elles se mirent à danser à l’unisson comme deux legongs. »
Ce récit de deux sanghyang qui se rencontrent pour la première fois et dansent d’une manière presque identique nous amène à nous demander ce qui est acquis et ce qui est inné. Les Balinais demanderont : qu’est-ce qui est de ce monde et qu’est-ce qui est divin ? Selon le rite Balinais, puisque le petit corps mortel d’une sanghyang sert d’hôte aux divinités, les royaumes terrestre et céleste s’unissent dans une danse divine de purification.