Histoire, légendes et coutumes autour de la danse bedhaya de Java

Légende de bedhaya : une histoire d’amour entre le sultan et Ratu Kidul

Le rite bedhaya (chant et danse de Java) a été créé au XVIIe siècle sous le règne du sultan Agung (1613-1645). On y conte l’histoire d’amour entre ce dernier et Ratu Kidul, la déesse de la mer du Sud. Cette puissante et redoutable divinité de la mort habite l’océan Indien et règne sur des démons aquatiques qui ont le pouvoir d’invoquer les désastres et les tempêtes.

Après s’être entiché de Ratu Kidul lors de ses méditations quotidiennes sur les rivages de son royaume, le sultan la suit sous les vagues jusqu’à son palais des abysses. En raison de cette alliance romantique, le sultan a accès à de grands pouvoirs, qu’il utilise pour vaincre ses ennemis et étendre son empire sur la face du monde. Ici, le mythe diverge : dans une version, c’est la déesse qui aurait créé le chant et le mouvement bedhaya en l’honneur du sultan ; un autre prétend que le deuxième sultan de Yogyakarta a créé le bedhaya au XVIIIe siècle pour commémorer la rencontre entre son ancêtre et la déesse. Quoi qu’il en soit, les Javanais, par crainte de Ratu Kidul, traitent encore aujourd’hui la déesse avec un profond respect. Pour preuve, avant chaque représentation les musiciens et danseurs Bedhaya se purifient en jeûnant et en récitant des prières spéciales. Ils offres également des fleurs, de la nourriture ou de l’encens, ainsi que des articles de beauté tels que des peignes, des miroirs à main ou des épingles à cheveux comme offrandes rituelles pour s’assurer que la divinité sera clémente. Si ce protocole est négligé, le palais et ses habitants risquent de terribles malheurs. Étant donné que le bedhaya semang de Yogyakarta et le bedhaya ketawang de Surakarta sont tous deux des représentations de la légende du sultan et de Ratu Kidul, ils sont considérés comme des pusaka — des hommages divins, sacrés et précieux. La légende orale raconte que la déesse apparaît parfois dans le kraton et se joint aux danseurs, car le bedhaya, en plus d’être une danse d’amour est avant tout le symbole de l’union divine des hommes avec les dieux.

Bedhaya Ketawang

Le style bedhaya

L’influence de l’Inde sur le bedhaya est reconnaissable dans les gestes éloquents des mains et les mouvements presque désarticulés de la tête et du cou des danseurs. Cependant, les mouvements oculaires rapides et les expressions faciales prononcées — si répandues dans les traditions de la danse indienne ou balinaise — sont sensiblement présents dans cette forme de danse. En digne danse de cour, le bedhaya est une danse typique au style pur et raffiné, considéré comme la base de toutes les autres danses javanaises. En raison de sa lenteur, de sa technicité et de sa durée, le bedhaya est la technique de danse féminine la plus difficile, dans laquelle les danseuses sont entraînées à se déplacer sans effort et de manière fluide, aérienne, presque divine.

Le bedhaya pendant le Nouvel Ordre de Suharto

Au cours des purges de 1965-1966 initiées par le général Suharto, qui entraînèrent la disparition d’environ un million de communistes présumés, des milliers de danseuses folkloriques — souvent perçues comme de gauche car représentant les droits des femmes de la classe ouvrière — furent incarcérées, torturées ou assassinées. Pour accroître la puissance de son régime autocratique, Suharto adaptera certaines danses pour l’exportation, afin d’idéaliser la culture noble de l’Indonésie, allant même jusqu’à utiliser des danseuses dans ses campagnes de propagande. Les danses de cour javanaises telles que le bedhaya furent sorties de leur contexte, transformées et enseignées aux femmes fonctionnaires qui les exécutaient lors de missions diplomatiques et culturelles internationales. L’objectif du dictateur étant de démontrer la sophistication culturelle de l’Indonésie. Un demi-siècle plus tard, de nombreux Indonésiens redoutent encore à parler de ce passé, comme on peut d’ailleurs le voir dans les films récents de Joshua Oppenheimer, The Look of Silence, ou dans celui de Rachmi Diyah Larasati, The Dance that Makes You Vanish. Au lendemain du coup d’État militaire de 1965 en Indonésie, des danseurs folkloriques de Bali furent massacrés, tandis que des danseurs de palais javanais furent exploités pour glorifier le régime autoritaire de Suharto…

Danse bedhaya ketawang - Surakarta

Le bedhaya, équilibre parfait entre noblesse et élégance

Le bedhaya était considéré comme luhur, ce qui signifie littéralement haut et noble, emblématique de l’étiquette de la cour des souverains indonésiens. Cette danse ne parle pas d’émotion ou de passion, mais plutôt d’une élégance raffinée et discrète. Tout au long du bedhaya, une danseuse reflète ce principe social en maintenant une expression faciale sereine, un sourire presque imperceptible et un regard baissé, profond et pénétrant. Malgré le fait que la légende derrière le bedhaya repose sur l’union charnelle entre le sultan et la déesse des mers du Sud, les mouvements des interprètes ne doivent pas être séduisants. En exécutant cette danse au style raffiné, la danseuse doit trouver le juste équilibre entre tension et fluidité, entre passion et détachement. Afin de traverser avec grâce ces états fluctuants, les genoux des danseuses sont constamment fléchis, permettant au torse de s’incliner vers l’avant. Cette position permet aux hanches d’initier des changements de poids constants qui se traduisent par un balancement doux et contrôlé d’un côté à l’autre, parfois entrecoupé de mouvements verticaux lorsque les jambes se redressent.

Les costumes dans la danse Bedhaya

Dans la bedhaya, les ce costume de mariées et le maquillage facial prononcé sont identiques pour les neuf danseuses, renforçant le concept selon lequel, lorsqu’elle se déplacent à l’unisson, elles représentent les aspects d’une seule personne, d’un caractère ou d’une émotion. Chaque danseuse est étroitement enveloppée dans un dodot — une jupe de tissu batik qui traîne jusqu’au sol. Sur le devant, un carré de tissu s’étend en une longue traîne qui dérive vers l’arrière entre les chevilles lorsqu’une danseuse se déplace. Les danseuses de Bedhaya sont très habiles pour ce qui est de l’écarter adroitement de leur chemin avec leurs pieds nus. Une écharpe de sampur nouée autour de la taille tombe au sol et une ceinture brodée d’or, des bracelets et des anneaux décoratifs sont portés aux poignets et aux bras.

On remarque une grande diversité vestimentaire, selon les époques et les cours où elles sont jouées : dans le bedhaya semang de Yogyakarta, les danseuses portent une coiffe en or avec une plume, un poignard keris à la ceinture et un chemisier de velours brodé d’or. Dans le bedhaya ketawang de Surakarta, on peint sur le front des danseuses afin de rehausser la racine de leurs cheveux, un filet perlé recouvre leur chignon et leur blouse en velours est sans bretelles.

Danse Bedhaya à Java
Danseuses bedhaya (Java) © Bali Authentique

Différences et points communs entre les danses de Java et Bali

Bien que les danses balinaises soient proches en de nombreux aspects avec les danses javanaises, par la grâce et l’élégance des danseuses, par la souplesse et le dynamisme des interprètes, par la beauté des costumes chatoyants et des coiffes brodés d’or…, le principe dans lequel elles s’inscrivent diffère. En effet, à Bali les danseurs sont avant tout des gardes du corps des dieux hindous-balinais et des médiums spirituels dans les rituels de guérison. Ils se produisent dans des drames dansés pour maintenir leurs communautés en équilibre. À Java en revanche, les danseuses et danseurs royaux bedhaya, tout en racontant l’union romantique entre un sultan et une déesse, rendent avant tout un hommage au souverain.


Êtes-vous curieux d’en savoir plus ? Posez librement vos questions dans les commentaire (juste après l’article). J’y réponds toujours ! 😉

Gunung Agung, un Dieu qui ne dort que d’un œil

Cette montagne sacrée est aux Balinais ce que l’Olympe était aux Grecs anciens, la Montagne Cosmique. Agung serait le point central de la cosmogonie céleste et religieuse du Monde, le temple divin qui abrite le panthéon des Dieux. Les mystiques balinais considèrent ce volcan comme le « nombril du monde », élevé dans le ciel par les divinités pour surveiller la Terre et les Hommes en dessous d’eux.

Où que vous soyez à Bali, vous distinguerez toujours les ombres du contour de la montagne, comme découpés dans un papier bleu-noir géant qui domine le paysage. À ses pieds repose Pura Besakih, le temple-mère de l’Île des Dieux. Lorsqu’ils sont mécontents, ces derniers y descendent pour semer le chaos sur la terre et combler les forêts de pierres, de cendres et de ruines.

Gunung Agung culmine à 3 142 mètres. Les parois du volcan sont recouvertes d’une épaisse jungle à la végétation croissante, et ses sols noirs, arables et féconds sont cultivés par les Balinais jusqu’à 1 000 mètres d’altitude. Car Gunung Agung, s’il est un volcan très surveillé par les volcanologues de Rendang et Batulompeh apporte aussi la vie. Il est la source des nombreuses rivières qui irriguent l’île de Bali et ses terres basaltiques fertilisent les cultures depuis des millénaires.

Un volcan fier et impétueux !

Les écrits anciens rapportent que la montagne sacrée de Bali s’est réveillée en 1 350 de notre ère, , puis au XIXe siècle, semant à chaque fois un chaos inimaginable mais qui, à terme, fécondait la terre autour de Besakih à tel point que d’année en année les provisions de riz devenaient pharaoniques ! Puis Agung s’était rendormi. De mémoire d’hommes, jamais plus il n’avait grondé, jusqu’à ce jour funeste de 1963.

Le temple de Besakih
Le temple de Pura Besakih, sur les flancs du Mont Agung, Bali.

En Février de l’année 1963, des coulées de lave très visqueuses explosent à la surface du cratère et descendent sur son flanc Nord, s’amoncelant jusqu’à 510 mètres au dessus du niveau de la mer. C’est le 17 mars, lors de la plus grande cérémonie Balinaise, Eka Dasa Rudra, un exorcisme du Mal mis en scène une fois par siècle, que Gunung Agung décide de sortir de son profond silence.

Tandis que les premiers chants des prêtres et les sons des gamelans s’élèvent au dessus du temple Pura Besakih, l’explosion du Mont Agung entre dans son paroxysme cataclysmique. Une colonne de feu, de cendres incandescentes et de débris de roche en fusion s’élèvent jusqu’à 10 kilomètres dans le ciel dans un rugissement infernal.

Les laves pyroclastiques dévastatrices sèment la désolation sur leur passage, ravageant villages et forêts alentours dans un rayon de 15 kilomètres. Les tremblements de terre détruisent les habitations, les cendres chaudes enflamment les toits de chaume et des débris volcaniques pleuvent en masse sur la terre. Des pluies de lapilli (petites pierres de pouzzolane brûlantes) recouvrent d’un nuage de mort les flancs de la montagne.

Tandis que la lave en fusion se déplace vers eux à près de 70 km/h, des prêtres hindous des temples environnants se mettent à prier frénétiquement, dans l’espoir d’apaiser les dieux en colère, assurant les adorateurs qu’ils n’auront rien à craindre. Finalement, près de 1 600 personnes périront dans l’éruption et 86 000 autres seront forcées d’évacuer leurs villages.

Le 18 mai de la même année, une ultime secousse d’une magnitude de 6 sur l’échelle de Richter finit d’effondrer les derniers temples encore debout. Miraculeusement pourtant, la lave encerclant Besakih épargna le temple-mère sacré, l’enveloppant d’une couche silencieuse de cendres noires et de scories durant des mois.

Colère divine ou coïncidence ?

smoking-mount-agungLes Balinais ne prennent pas de tels hasards extraordinaires à la légère. Pour preuve, la catastrophe a été attribuée à la colère du dieu Shiva, dans son aspect le plus maléfique : Rudra. Le réveil d’Agung deviendra finalement le jugement, accablant, de l’ère du Président Sukarno.

De l’explosion du Gunung Agung, quelques cicatrices restent encore aujourd’hui. Jusque dans les années 1970, la campagne de Klungkung était encore noircie par les ruisseaux de lave, mais la région est aujourd’hui luxuriante, avec de nombreux champs et jardins. Dans la région la moins peuplée de Karangasem cependant, les traces du passage de l’éruption sont encore visibles, comme à Tianyar et Kubu sur la côte Nord-Est.

Pour les balinais, cette épouvantable explosion de colère d’Agung signe la condamnation et l’échec du gouvernement. Suite à cette crise sans précédent à Bali, le déplacement forcé des populations et le déracinement des villages contribuera sensiblement aux abominables massacres de 1966, lors de la purge dite « anti-communiste » du nouveau régime Indonésien de Suharto (voir le documentaire « The Act of Killing » ci-dessous).

Docu-fiction : « The Act of Killing »

The Act of KillingDes affrontements inter-communautaires de 1966, Loi du Silence, tabous et génocidaires semblent avoir encore de longues années devant eux. The Act of Killing est un film engagé du cinéaste Indonésien Joshua Oppenheimer qui lève le voile sur la façon dont en 1966, trois ans après l’explosion d’Agung et la prise du pouvoir par les militaires, ces derniers ont exterminé près d’un million de communistes présumés et d’intellectuels dans tout le pays.

Depuis ces années noires de l’histoire, la souffrance des familles ne finit pas de durer. Dans The Act of Killing, le cinéaste donne la parole aux tueurs, et notamment au boucher Anwar Congo qui rejoue les massacres communistes qu’il a lui-même joué entre 1965 et 1966 à Sumatra. Le film dénonce ces criminels de guerre aujourd’hui vénérés comme les pères fondateurs d’une nouvelle ère de paix et de prospérité, se vantant sans vergogne de leur propre corruption, de la fraude et de leurs actes génocidaires.

The Act of Killing est un documentaire sur le tournage d’un film de fiction par les tueurs de 1965, sur leurs propres crimes qui sont, eux, bien réels. Ce film n’est pas seulement le récit de ce massacre, il témoigne de la continuité de la pratique du crime dans le domaine de la politique, de la justice et de l’économie en Indonésie, un demi-siècle après l’extermination des « communistes. »

Quarante-sept ans après, le gouvernement actuel refuse toujours de reconnaître que ces massacres sont un crime contre l’humanité, malgré le rapport accablant de la Commission indonésienne des droits de l’homme.

Infos pratiques

  • Date de sortie en France : 10 avril 2013
  • Durée : 1h 55min
  • Réalisateur : Joshua Oppenheimer
  • Le site web du film : http://theactofkilling.com


À voir :
The Act of Living, exposition photo des survivantes des massacres de 1965

Dernière minute : je viens d’apprendre par Jenni de Balisolo, que tous les évènements de l’Ubud Writers and Readers Festival ont été annulés en raison du projet de diffuser « The Look of Silence », le dernier film du cinéaste Joshua Oppenheimer. Le sujet est encore… brûlant !

La légende de l’origine du détroit de Bali, de Siddhi Mantra et du dragon Naga Basuki

Petite enclave hindouiste au cœur d’un archipel musulman de près de 15 000 îles, lovée entre Java et Lombok, Bali est unique de par ses traditions, sa culture et ses rites sacrés. Son histoire balance entre mythe et réalité. Il existe d’ailleurs un conte des temps anciens que les balinais racontent à leurs enfants avant de s’endormir : c’est l’histoire de la création de l’île des Dieux !

L’histoire de Siddhi Mantra et du dragon Basuki

Il y a bien longtemps, en des temps où l’île était parcourue par les dragons et des héros mythiques, on raconte que les îles de Java et de Bali n’étaient pas séparées comme c’est le cas aujourd’hui mais qu’elles ne formaient qu’un seul et même continent. C’est là que vivait un prêtre aux pouvoirs surnaturels : Siddhi Mantra. Siddhi Mantra avait un fils unique du nom de Manik Angkeran. Ce fils était un enfant gâté auquel son père ne refusait rien. Or ce fils avait un vice : une grave addiction aux jeux d’argent et aux paris des combats de coqs, ce qui mettait en péril toute la fortune familiale !

Ne sachant plus que faire avec son fils, Siddhi Mantra alla chercher de l’aide auprès du dragon du Mont Agung, Naga Basuki. Basuki avait lui aussi d’étranges pouvoirs, comme celui de faire pleuvoir des pierres précieuses et de l’or en échange de prières. Siddhi Mantra gravit la montagne, l’ascension fut longue et périlleuse et, arrivé au sommet, il se mit à réciter les prières au Naga Basuki. À cet instant, une pluie de diamants, de rubis et d’émeraude tombe au pieds du prêtre qui, en remerciant vivement Basuki de sa grande générosité, s’empresse de les ramasser pour les offrir à sa famille et à son fils. Il lui fait promettre de ne plus jamais jouer d’argent, sans quoi il subira le courroux du dragon. Mais Manik Angkeran ne l’entend pas de cette oreille et, comme « un vice en entraîne un autre », il vole la cloche de prière et se rend à son tour au sommet du Mont Agung. Mais ses intentions sont mauvaises : il souhaite voler le dragon Basuki.

Or, Basuki est un être surnaturel et ses pouvoirs sont fantastiques. Il est notamment capable de sonder l’esprit des gens afin de déceler leurs intentions profondes. Basuki décide alors de débarrasser le monde du voleur Manik Angkeran et le tue. Siddhi Mantra est fort triste, son fils unique est mort de n’avoir pas respecté sa parole et d’avoir tenté de se jouer du dieu-dragon Basuki. Mais Basuki est aussi clément envers les hommes de paix, alors il décide de ressusciter Manik Angkeran à une condition : que ce dernier et Siddhi Mantra ne se croisent plus jamais et vivent tous deux séparés. Une fois son fils revenu à la vie, Siddhi Mantra s’empare d’une canne magique et trace à même le sol une frontière imaginaire entre lui et son fils. Dans cette ligne l’eau s’engouffre, elle devient un ruisseau, puis une rivière, puis un torrent qui ne cesse de gonfler, de gonfler, de gonfler pour finalement devenir un bras de mer, le fameux détroit de Bali. Père et fils seront désormais séparés pour toujours, l’un à Java, le second à Bali.

Les Austronésiens, premiers peuples de l’archipel indonésien

La préhistoire de Bali remonte à environ 1,5 millions d’années, avec celui que l’on appelle « l’Homme de Java », un homminidé appartenant à l’espèce Homo erectus et dont les fossiles furent retrouvées à la fin du XIXe siècle à Trinil, au bord du fleuve Solo, dans la province de Java oriental. Mais ce qu’ignorent toujours les anthropologues aujourd’hui, c’est de savoir si cet homme est arrivé ou non jusqu’à Bali… Ce que l’on sait avec certitude en revanche, c’est qu’il y a environ 6000 ans, des peuplades originaires des régions du Nord de l’actuel archipel indonésien, et notamment de cette contrée que l’on appelle aujourd’hui la Chine migrèrent vers l’Asie du sud-est pour venir cooniser les innombrables îles de l’archipel d’Indonésie.

Ils se dispersèrent rapidement vers Taïwan, les Philippines, la Mélanésie, la Polynésie et même jusqu’à Madagascar ! Ces peuples s’appelaient les Austronésiens et ce sont eux qui sont à l’origine des langues parlées actuellement en Indonésie. Le Balinais moderne demeure encore très proche aujourd’hui de ces antiques dialectes. Ces nouveaux arrivants développent le travail du métal, de l’agriculture et de nouveaux styles artistiques majeurs dans cette région du monde. Apparus à la même époque, le fer et le bronze sont d’une importance capitale : ces métaux permettront de défricher les fôrets et de creuser les tunnels d’irrigation dont la civilisation balinaise dépendra pour se développer. Deux activités qui feront la force de Bali durant des siècles se développent alors : le commerce et l’agriculture. Des Austronésiens naquirent des civilisations complexes qui vouaient déjà un culte à leurs ancêtres. À Bali, nombre de sarcophages de cette époque ont d’ailleurs été retrouvés, comme celui que l’on peut encore voir au temple Pura Luhur à Uluwatu.

Premières routes commerciales entre Bali et l’Inde

On estime que les premiers échanges commerciaux entre le sous-continent Indien (zone de l’Asie du Sud qui regroupe Inde, Népal, Bhoutan, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh et les Maldives) et Bali il y a plus de 2000 ans. Néanmoins, les premières traces écrites de ces échanges n’apparaissent qu’au travers d’images et de textes écrits dans un vieux dialecte bouddhiste, les stups, datés du VIIIe au IXe siècle de notre ère. L’hindouisme à Bali est loin d’être un phénomène isolé en Indonésie. pourtant, nous savons peu de choses sur la manière et les raisons qui ont poussées les populations balinaises à embrasser la culture Indienne… Sinon que l’intérêt pour l’Inde fut sans doute avant tout politique. Très tôt, les rois et les reines de Bali ont semble-t-ils été désireux de bénéficier de nouveaux systèmes sociaux et politiques : des écoles de pensées religieuses, des codes de lois, de nouveaux systèmes d’architecture ou encore la nécessité d’alphabétiser leurs sujets.

L’époque antique de Bali et le Royaume de Majapahit

Pour en apprendre davantage au sujet des origines lointaines de l’île de Bali, je vous invite à lire mon précédent article sur l’histoire et les légendes du Royaume antique de Bali.

Histoire et légendes du Royaume antique de Bali

Wy Raden Wibisana - Deesse de BaliŚri Astasura Ratna Bumi Banten. Sous ces quelques mots étranges, provenant d’un manuscrit du XIVe siècle, se dévoile l’étymologie du nom de l’île de Bali : Sri Astasura, roi de l’île Banten. Les deux noms, Bali et Banten ont la même signification : une offrande. À Bali, tout est croyance, rites sacrés, profond respect de la vie mais aussi de la mort et offrandes.

 

Qui était Śri Astasura Ratna Bumi Banten ?

D’un point de vue étymologique, Asta signifie Huit, Sura = Dieu, Ratna = Joyau et Bumi Banten = Terre de Bali. Il était le dernier roi du royaume de Beduga, Bali, sur lequel il régna de 1332 à 1343. Son règne prit fin lorsque le royaume de Majapahit, à travers l’expédition de Gajah Mada, conquit l’île de Bali en 1343. Les célèbres patihs (généraux) durant son règne furent Pasung Grigis et Kebo Iwa.

Histoire du Royaume de Bedahulu / Bedulu, Bali

L’île de Bali est la demeure des magiciens, des démons et des dieux.

Dans la Mythologie Balinaise, Bali est une émeraude remontée de l’océan et qui repose sur le dos large d’une tortue, Bedawang. La légende explique qu’elle est issue de la méditation du serpent universel Antaboga. Deux serpents reposent au sommet de la tortue universelle, ainsi que la Pierre Noire, qui forme le couvercle du monde souterrain, gouverné par le dieu Batara Kala et la déesse Setesuyara.

Le royaume de Bedahulu (aujourd’hui orthographié Bedulu) est un ancien royaume de l’île de Bali qui exista du VIIIe siècle au XIVe siècle. Le centre du royaume se situait à Pejeng ou Bedulu, régence de Gianyar, Bali. On estime que ce royaume était gouverné par des rois descendants de la dynastie Warmadewa. Le dernier souverain du royaume de Bedulu (Dalem Bedahulu) s’est opposé à l’expansion du royaume de Majapahit en 1343, dirigé par Gajah Mada, mais s’est soldé par la défaite de Bedulu.

Reine Balinaise

La résistance de Bedulu s’est complètement éteinte après la défaite de la rébellion de ses derniers descendants (Dalem Makambika) en 1347.

Histoire de la création du royaume de Bedahulu

Au IVe siècle à Campa, Muangthai était gouverné par le roi Bhadawarman. Lui succédera son fils, Manorathawarman. Le fils de ce dernier, nommé Mulawarman, est connu comme étant le souverain qui fonda le royaume de Kutai. De sa descendance naquit le royaume de Taruma Negara, puis celui de Sriwijaya. C’est le fils de Mauli Warmadewa, Sri Kesari Warmadewa qui, une fois installé à Bali, y établit Pura Merajan Salonding et Dalem Puri à Besakih.

Les origines

Au plus loin de l’histoire connue de cette lointaine époque, on retrouve donc Ratna Bhumi Banten, dont la plupart sont des descendants de la reine Ugrasena, l’ancêtre de Sanjayawamsa, un chevalier Kalingga.

Sri Atasura Ratna Bhumi Banten était un fervent bouddhiste. Il a établi de nombreux sanctuaires bouddhistes à Bali. L’histoire antique de Bali est remplie de combats et de guerres fratricides, comme en témoigne la résistance contre le royaume de Singhasari, en 1222 après JC. Bali sera de nouveau conquise en 1284 par le roi Kertanegara. En raison de la prise du royaume Singhasari par Jayakatwang en 1292, Bali revint sous le contrôle du royaume de Daha. En 1293, le royaume de Daha est détruit par la reine du Majapahit, qui en devient dès lors la monarque.

Mais Sri Atasura Ratna Bhumi Banten ne l’entend pas de cette oreille et passera le reste de sa vie à combattre cette reine qu’il juge inapte à commander. En raison de son attitude, Sri Atasura Ratna Bhumi Banten sera surnommé Raja Bedahulu, où Beda signifie différent (opinion) et Hulu, supérieur.

Mythes sur le roi de Bejul

Une légende balinaise raconte qu’un jour un roi fut testé par Ki Pasung Grigis, le patih (Vice-chef du souverain) du royaume de Bali, lequel lui demanda en ces termes : « Votre majesté, si votre altesse est vraiment si puissante au point de libérer l’âme du corps, montrez-le moi. » Le roi accepta alors sa requête et détacha sa tête de son corps, laquelle s’éleva vers les cieux. Cependant, au bout de trois jours, la tête de Sri Tapolung n’était toujours pas revenue et Ki Pasung Grigis commençait à s’inquiéter (on peut le comprendre). Par coïncidence, un cochon passa par là à cet instant. L’animal fut décapité et sa tête fut jointe au corps de Sri Tapolung. Du fait de sa tête de cochon, le roi fut surnommé Bedamuka (tête différente). Ce mythe est encore fermement ancré dans la société balinaise et l’histoire de ce roi à tête de cochon est souvent raconté dans les représentation théâtrales traditionnelles, dont les spectacles de Wayang kulit.

Les historiens qui étudient ce texte s’accordent aujourd’hui pour expliquer ce conte de manière plus critique. L’histoire du roi à tête de cochon est perçue comme un symbole de l’attitude du dernier ancien roi balinais qui ne voulait pas reconnaître la suprématie du pouvoir de la reine Majapahit. Le roi voulait faire de Bali un royaume souverain et indépendant, libre de l’emprise des puissances extérieures. Une interprétation étayée par les résultats des recherches des archéologues.

Dans un certain nombre d’anciennes sources balinaises, le roi Sri Tapolung est mentionné comme un roi fort, visionnaire, altruiste et respecté par son peuple. Ce roi avait reçu le titre honorifique de Sri Asta Sura Ratna Bhumi Bhanten, le souverain de Bali, celui qui possède les Huit Pouvoirs divins. Cette attitude était perçue par Majapahit comme dangereuse pour l’ambition de son royaume de dominer l’archipel Indonésien. Par conséquent, Bali devint alors la principale contrée à conquérir. C’est grâce à la perfidie du gouverneur Gajah Mada qu’elle fut conquise. Cependant, cette conquête par Majapahit n’a pas nécessairement fait reconnaître aux anciens Balinais le pouvoir de Majapahit sur leur royaume de Bali. Au contraire, l’histoire raconte que la résistance ne s’apaisa que lorsque des négociations politiques eurent lieu entre les dirigeants Majapahit et le peuple Bali Aga afin de réprimer la résistance. Malgré cela, l’amour du peuple balinais pour son dernier roi demeurera longtemps, bien longtemps après la fin du règne de Majapahit et la disparition de son royaume…

Vestiges du royaume de Bedulu

La résistance du royaume de Bedulu à Majapahit est une métaphore symbolisant la résistance des natifs balinais (Bali Aga) à l’attaque javanaise (Wong Majapahit). Certains endroits reculés de Bali maintiennent encore les coutumes de Bali Aga, par exemple dans le village de Trunyan (dans le district de Kintamani), dans le village de Tenganan et celui de Mangoustan (dans la régence de Karangasem) et dans les villages de Sembiran, Cempaga Sidatapa, Pedawa, Tiga Was et Padangbulia (régence de Buleleng). Certains temples sont toujours considérés comme des reliques de cet antique royaume aujourd’hui étient. C’est le cas notamment des temples de Jero Agung, de Samuan Tiga, de Goa Gajah et Pura Bukit Sinunggal.

Goa Gajah Bedulu Ubud Bali
Grotte de l’éléphant Goa Gajah à Bedulu, Bali.

Le temple de Goa Gajah n’a été redécouvert qu’en 1923, bien qu’il soit mentionné dans le livre Nagarakertagama écrit en 1365 après JC. Ce temple fut construit sur la rivière Petanu, qui offre un magnifique panorama naturel, entre des palmiers et une petite rivière qui se jette dans la rivière Petanu en contrebas. Sur les murs de Goa, il y a aussi une courte inscription qui dit « Kumon sahywangsa », laquelle, selon la graphie des lettres, rappelle sans nul doute la langue parlée ici aux alentours du XIe siècle après J.-C. À l’ouest du temple, on découvre une stature de Ganesh accroupie et une seconde à l’effigie de Men Brayut, deux divinités de la mythologie bouddhiste. Men Brayut est aussi connue sous le nom de Hariti, le sauveur des enfants. Devant Goa, à l’exception de la statue du gardien, il y a aussi des fragments de construction dont les origines demeures inconnues.

Sur la base des découvertes archéologiques mentionnées ci-dessus, on comprend que le temple de Goa Gajah date des IXe et XIe siècles de notre ère, et qu’il servait probablement d’ermitage aux moines bouddhistes et aux adorateurs du dieu Shiva.