Fondamentalement, la religion hindouiste balinaise se rapporte à la vie de l’être humain dans l’univers, depuis sa vie intermédiaire jusqu’à la fin de son temps. Le but ultime peut être atteint en suivant le principe du Tri Warga : dharma, artha et kama. Ce principe est issu du Marabharata, un poème écrit il y a plus de 2 500 ans. On y trouve le concept des Purushartha (en sanskrit : le but de l’existence humaine).
Selon le Tri Warga, l’Univers est comme un être vivant et il est composé de trois valeurs intrinsèques. Comme les êtres humains sont une expression de l’Univers, ces trois valeurs nous constituent aussi. Le Dharma est l’aspect spirituel, et concerne la relation étroite entre l’être humain et son dieu. La racine du mot dharma signifie ce qui crée de la structure, ce qui rend ferme. Le Dharma nous permet de donner vie à nos valeurs.
Artha est l’aspect socio-économique qui maintient la communication et la relation étroite entre les individus. Le concept Artha représente toutes les choses et possessions dans notre vie, ce que l’on peut voir, toucher, utiliser. Mais Artha apprécie la clarté et si les choses que l’on possède s’accumulent, l’énergie Artha se bloque.
Enfin, Kama est le plaisir, mais cela va bien au-delà de la sexualité (kama sutra). Kama est lié à la vie culturelle, à la création des arts, à la culture et à l’architecture. Or la question du plaisir est intimement liée à la question de notre présence : être pleinement présent pendant les moments où nous ressentons du plaisir.
L’hindouisme balinais met l’accent sur les activités rituelles pratiquées soit par des individus, soit entre amis ou au sein de plus larges communautés.
Toutes ces activités rituelles peuvent être classées en cinq catégories : Panca Yadnya qui consiste en un rituel dans les temples, Pitra Yadnya : un rituel pour l’esprit des ancêtres, Manusa Yadnya : un rituel pour commémorer le processus de la vie depuis l’enfance à l’adulte, Rsi Yadnya : un rituel lié à l’investiture d’un prêtre en tant que chef de la religion, et enfin Bhuta Yadnya : un rituel de guérison. De plus, la philosophie de l’hindouisme balinais est que la vie des hommes et des femmes doit être en harmonie avec la nature. Cette philosophie est basée sur l’idée que l’être humain est créé à partir des cinq éléments : l’éther (akasa), l’air (bayu), la chaleur (teja), l’eau (apah) et la terre (pertiwi, le sol) qui sont appelés Panca Maha Bhuta.
Les sept principes de vie des Balinais
Il existe sept principes de vie issus de la culture sociale et religieuse de l’hindouisme Balinais. Selon ces principes, une vie harmonieuse ne devrait jamais s’écarter de ces enseignements.
Le 1er principe est celui de Desa Kala Patra
Desa fait référence à l’espace de vie des personnes alors que Kala fait référence au moment où les personnes poursuivent leurs activités durant cette vie. Patra, c’est la personne qui vit dans une région. Ce principe socioculturel de Bali implique que les personnes qui pratiquent l’hindouisme Balinais doivent être en harmonie avec la région et la communauté dans laquelle elles vivent.
Second principe : Rwa Bhineda
Ce principe-là est basé sur la croyance que l’univers est en équilibre constant, selon un rapport de dualité. Selon les Balinais, il n’y aurait pas de vie significative s’il n’y avait qu’une seule espèce occupant l’univers et dominant ce cosmos. C’est ce concept qui rend l’univers avec sa vie sur terre, parfait et beau. Les hindous de Bali pensent que le système dualiste de l’univers est un ordre cohérent du cosmos, où chaque vie est orientée dans un état d’équilibre qui maintient la relation harmonieuse entre l’univers en tant que macrocosme et les êtres humains en tant que microcosme. Cet ordre est basé sur la philosophie de la réconciliation (deux pôles ayant des valeurs différentes, mais liées dans une relation). Rwa signifie deux et bhineda signifie différent, principe que l’on retrouve dans les « couples » homme-femme, la montagne-la mer, le jour-la nuit, la terre-l’eau, sekala-niskala, et dans le couple sacré-profane.
Les principes de Rwa Bhineda se retrouvent également dans l’architecture, notamment dans l’orientation spatiale des temples, des villes, des maisons, etc. Les espaces sacrés seront orientés vers une montagne, siège du domaine divin, tandis que les espaces dits profanes sont orientés vers la mer. Car, pour l’hindouisme balinais, la mer connote des « choses mauvaises ». On retrouve d’ailleurs cette notion dans la plupart des textes bibliques, qu’ils soient issus de religions polythéistes ou monothéistes. De même, les temples et lieux consacrés à la mortalité (site funéraire, cimetière…) seront orientés vers la mer.
Le troisième principe : Sekala – Niskala
Sekala est un objet visible, alors que Niskala est invisible. Les deux sont des éléments surnaturels de l’hindouisme Balinais, lequel croit que les objets invisibles (qui appartiennent au surnaturel) peuvent entrer en contact avec l’être humain. On ajoutera qu’à Bali, le temple, qui est un lieu de culte à Dieu, est un sekala tout en étant le reflet de niskala. Ainsi, les danses religieuses sekala, lesquelles sont exécutées par les hindouistes balinais, sont les symboles des pouvoirs invisibles (niskala). Cependant, le pouvoir le plus élevé de l’univers est juste Dieu, qui est invisible et intouchable. Son pouvoir est classé selon un principe trinitaire : le pouvoir de créer, le pouvoir de prendre soin et le pouvoir de reprendre. L’hindouisme Balinais aspire à atteindre un état de conscience suffisant afin que l’être humain puisse entrer en contact direct avec Dieu (sekala) pour lui permettre de raconter facilement ses pensées. On retrouvera ici une des explications des danses de transe sanghyang dedari, où des humains (sekala) entrent en contact avec les déesses issues de l’invisible (niskala).
Quatrième principe : Tri Hita Kharana
Tri Hita Kharana vient de trois mots : tri, qui signifie trois, hita qui signifie droiture et kharana, qui signifie source. Ce principe est primordial, car il contient l’enseignement philosophique sur la vie et l’harmonie de cette vie dans tous les aspects du quotidien. Les trois sources forment respectivement : 1. la relation entre l’être humain avec son Dieu, 2. entre l’être humain avec ses semblables et 3. entre l’être humain avec son environnement. Les trois éléments de Tri Hita Kharana sont l’atman, le prana et la sarira, qui sont respectivement les sources de la vie, de l’esprit et de l’énergie.
Cinquième principe : Tri Angga et Tri Mandala
Tri Angga est, selon la croyance culturelle et religieuse de Bali, la source de toute chose et s’exprime toujours selon trois valeurs qui sont utama, madya et nista (haut, milieu et bas). Chez un être humain, le Tri Angga serait représenté par la tête, le corps et les jambes. Dans un bâtiment, c’est le toit, le mur et le sol alors que dans la nature, il s’agit de la montagne, la terre et la mer. Dans l’univers (au sens de globe terrestre, car pendant longtemps les humains n’avaient pas conscience de la notion d’univers), on retrouve l’espace, la terre et la mer. Si les termes utama, madya et nista sont utilisés dans une zone délimitée (comme dans un temple par exemple), il y aura trois valeurs de l’espace appelé le Tri Mandala. Mandala signifie carré ou espace. Le principe de Tri Mandala est la continuité du principe de Rwa Bhineda, c’est-à-dire l’opposition/équilibre des deux « pouvoirs » : est – ouest, lever-coucher du soleil, montagne – mer, nord – sud, etc.
Sixième principe : Nawa Sanga
Nawa signifie le trône de Dewa, tandis que Sanga signifie « neuf positions ». Nawa Sanga évoque les neuf positions des trônes de Dewa (les dieux). La position de Dewa Syiwa (le dieu suprême) est au centre tandis que les huit autres sont dans les directions des points cardinaux d’une boussole. Du point de vue de Dewa Syiwa, le nord est Dewa Wisnu, le nord-est est Dewa Sambu, l’est est Dewa Iswara, le sud-est est Dewa Maheswara, le sud est Dewa Brahma, le sud-ouest est Dewa Rudra, l’ouest est Dewa Mahadewa et le nord-ouest est Dewa Sangkara.
Le septième principe d’Asta Dikpalaka
Ce dernier principe trouve sa source dans l’hindouisme indien qui décrit la forme de l’univers comme un cercle. On pense que la zone de l’univers est centrée sur le mont Mahameru (où se trouve un trône de dieux nommé Asta Dikpalaka) qui a quatre autres sommets plus hauts dans ses environs. On pense que le soleil, la lune et les étoiles tournent autour du pic Mahameru. Mahameru se tient debout au centre d’un continent appelé Jambhudwipa dans lequel existent des êtres humains et d’autres êtres vivants. Il y a aussi une chaîne de montagnes appelée Cakravala. Les huit directions de la montagne Mahameru sont gardées par Asta Dikpalaka en tant que protecteur de l’univers contre les créatures maléfiques.
Asta Dikpalaka représente ainsi les dieux des huit directions de la boussole qui, dans le mythe, entourent la montagne Mahameru. Du côté du mont Mahameru, le nord-est Dewa Kumera, le nord-est est Dewa Isana/Candra, l’est est Dewa Indra, le sud-est est Dewa Agni, le sud est Dewa Yama, le sud-ouest est Dewa Nirtti/Surya, l’ouest est Dewa Waruma et le nord-ouest est Dewa Wayu.
Illustration de couverture : Kler Roger.